Des prisons pour enfants? En Suède?
par Siv Westerberg
Traduit par Micheline Grundt, cand.philol., lexicographe

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Siv Westerberg exerce la profession d'avocat à Gothenburg en Suède, A plusieurs reprises elle a engagé à la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg des actions en justice contre le gouvernement suédois dans des affaires concernant les droits de la famille, affaires dans lesquelles elle défendait les droits de clients attaqués par les autorités suédoises chargées de la Protection de l'enfance.
Une version antérieure de cet article a été publiée par la revue suédoise Medborgarrätt (Droits civils) numéro 2, 1995.
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En Suède, les hôpitaux psychiatriques pour enfants sont, pour une large part, des prisons pour enfants; des enfants que la Protection de l'enfance a retirés de force à leurs parents y sont enfermés afin que, grâce à l'observation de l'enfant et de ses parents dans ces conditions anormales, les autorités puissent réunir des "preuves" permettant de maintenir cet enfant en détention en raison de la "conduite anormale" de l'enfant et de ses parents.

Il y a des orphelinats en Suède, bien que les enfants orphelins soient très peu nombreux aujourd'hui en raison de l'actuelle espérance de vie des parents. Les quelques orphelins existants ont, presque toujours, des membres de leur famille désireux de se charger d'eux. L'amélioration considérable des conditions de vie et la possibilité d'obtenir des allocations ont eu un résultat: il n'est pratiquement plus nécessaire de placer des enfants à l'orphelinat parce que leurs parents ne pourraient pas assumer leur charge. C'est pourquoi aujourd'hui les orphelinats ont généralement la fonction d'hôpitaux psychiatriques pour enfants.

C'est déjà une intervention très discutable que de prendre des enfants de force pour les confier à l'Assistance publique. Mais le pire, c'est que les familles nourricières sont inaccessibles à toute forme de surveillance. Dans cette famille des personnes privées, aux antécédents souvent douteux, exercent une activité rémunérée et laissent les enfants à l'abandon tout en les maltraitant, ceci à l'insu de la majorité de la population suédoise. Il y est par exemple courant d'empêcher ces jeunes enfants d'aller à l'école alors qu'ils sont à l'âge où elle est obligatoire.

Mais les exemples pris dans la vie réelle sont plus instructifs que de longues dissertations. Aussi, avec la permission de mes clients, je vais placer devant vous quatre cas dont je me suis occupée ces dernières années. Ces affaires concernent toutes les quatre des enfants de parents aimants et normaux. Aucun des parents n'est toxicomane ou alcoolique. Et ces parents, durant toutes ces années de séparation forcée, n'ont pas cessé de combattre devant les différents tribunaux pour que leurs enfants leur soient rendus.

1) Daniela Wolmar avait neuf ans quand les autorités l'ont mise de force à l'Assistance publique. Sa mère, Kerstin Wolmar, est institutrice de son métier. Le demi-frère et la demi-soeur de Daniela, tous deux adultes, ont témoigné sous serment devant les tribunaux qu'ils avaient eu une bonne mère et que Daniela, comme eux, avait eu toute l'affection et les bons soins de sa mère.

Kerstin Wolmar a eu un différend avec son employeur, la municipalité de Tidaholm, au sujet de son travail d'enseignante. La municipalité s'est "vengée" en mettant Daniela à l'Assistance publique : un jour, brusquement, on est venu retirer Daniela de l'école pour la mettre dans un hôpital psychiatrique pour enfants. Pendant trois mois on lui refusa toute scolarité. Puis elle fut transportée dans un orphelinat où les portes sont verrouillées et dont l'accès est interdit aux parents et aux visiteurs. Elle y a été maintenue trois ans.

Daniela, qui avait jusqu'alors suivi les cours d'une école ordinaire, a été placée dans une école pour enfants retardés. Le 2 janvier 1995 une voiture, qui ressemblait étrangement à un fourgon cellulaire, l'a conduite dans une famille nourricière dont on a refusé de communiquer l'adresse à sa mère. De nouveau, elle n'a pas eu le droit d'aller à l'école. La raison que donnent les autorités quant à cette interdiction, est qu'elles ne pourraient pas garder secrète l'adresse de la famille nourricière si Daniela allait à l'école. On a refusé à Daniela tout contact avec sa mère et ses frère et soeur. Quand Kerstin Wolmar a fini par découvrir l'endroit où était sa fille, les parents nourriciers ont renvoyé Daniela à l'orphelinat, et refusé de la garder chez eux parce que sa mère, connaissant leur adresse, était à même de voir Daniela et peut-être de les surveiller, eux.

2) Anne-Marie Paulsen-Medalen est la mère célibataire de deux garçons: Jan-Åke, né en 1986, et Peter, né en 1984. En 1989 les deux enfants ont été pris en charge d'office par l'Assistance publique. Peter est handicappé et les autorités prétendent que sa mère est incapable de s'occuper de lui. Dans le cas de Jan-Åke, les autorités donnent pour principale raison de leur prise en charge le fait qu'elles l'estiment gravement perturbé psychiquement et que sa mère doit être la cause de ces troubles psychiques, Les autorités ont refusé de le laisser retourner avec sa mère, en prétendant qu'il souffre encore de ces troubles, Sa mère n'a jamais observé chez lui aucune anomalie psychique: il était, au contraire, particulièrement éveillé et doué, et se développait bien à tous égards. Ceci était confirmé par ses maîtresses d'école, qui disaient à sa mère et à l'avocat de cette dernière, qu'elles non plus n'avaient jamais observé aucune anomalie psychologique en Jan-Åke; c'était un enfant exactement comme tous les autres, Anne-Marie Paulsen-Medalen les a donc fait citer comme témoins au tribunal. Mais là, les maîtresses changèrent de ton. Evidemment sous la pression de l'Assistance publique, et peut-être aussi celle des autorités scolaires, qui travaillent en contact étroit avec l'Assistance publique, les maîtresses déclarèrent alors que Jan-Åke avait "des problèmes psychologiques".

Peter, l'enfant handicappé, fut placé en nourrice dans une famille de quatre enfants, le père nourricier travaillant sur le quai et la mère nourricière travaillant la nuit comme aide-soignante. La famille élevait un autre enfant nourricier, Outre le paiement habituel pour chaque enfant en nourrice, la mère nourricière recevait une somme égale à un salaire intégral d'aide-soignante, pour cesser son travail à l'hôpital et s'occuper particulièrement du petit handicapé. Les services sociaux ne savaient pas que la mère nouricière, tout en ayant cessé de travailler la nuit à un hôpital de Gothenburg, avait pris un travail du même genre à un hôpital d'Alingsås.

Anne-Marie Paulsen-Medalen comprit que Peter souffrait gravement d'abandon et de mauvais traitements dans la famille nourricière: il avait des bleus inexplicables sur le corps, il pleurait et suppliait sa mère de le reprendre chez elle. Les services sociaux firent taire les critiques d'Anne-Marie Paulsen-Medalen en la menaçant de la poursuivre au pénal si elle continuait ses investigations sur ces conditions déplorables.

Ses soupçons furent confirmés quand la police dut intervenir chez la famille nourricière au cours d'une nuit d'été, afin d'empêcher le père nourricier complètement ivre d'assassiner la mère nourricière tout autant prise de boisson. Il apparut alors que les services sociaux connaissaient parfaitement, et depuis lontemps, l'alcoolisme invétéré du père nourricier.

Les parents nourriciers se séparèrent. L'Assistance publique a laissé un enfant handicapé comme l'est Peter à la garde de cette mère nourricière qui, d'autre part, continue de travailler à plein temps à l'hôpital. Quand elle s'est séparée de son mari elle avait la garde de ses quatre enfants et de deux enfants nourriciers, plus, peu après, celle d'un bébé dont sa fille adolescente était enceinte. Elle a continué de travailler la nuit et laisse à sa fille de 17 ans le soin de s'occuper de Peter pendant la nuit.

A un moment de la prise en garde imposée des deux enfants d'Anne-Marie Paulsen-Medalen, l'Assistance publique les a placés tous les deux, âgés alors de six et huit ans, dans un hôpital psychiatrique pour enfants, en vue de leur mise en observation et d'un diagnostic.

Durant les trois semaines de leur maintien en service isolé, ils ont été autorisés à sortir du pavillon six fois en tout et pour tout.

Les autorités prétendent que Peter est gravement en retard. Il a été placé non pas dans une école pour enfants retardés, mais dans une prétendue "école spéciale" où on ne cherche même pas à lui apprendre à lire et à écrire. Sa mère, tout comme différentes personnes qui l'ont rencontré, ne partagent nullement l'opinion des autorités, mais aucune tentative n'est faite par ces autorités pour encourager le développement de toute capacité qu'il puisse avoir.

3) et 4) Alexander Aminoff et Franz Lovasz sont deux jeunes hommes qui, dans leur enfance, ont été pris en charge d'office par l'Assistance publique et placés dans des familles nourricières où ils ont été laissés à l'abandon et victimes de violences physiques, et de plus, durant de longues périodes, privés de scolarité. Après bien des années, ils sont parvenus à s'échapper de leurs familles nourricières, grâce à des évasions dramatiques.

Arrivés à l'âge adulte, ils ont essayé, tous les deux, d'intenter des procès à l'Etat suédois pour obtenir un dédommagement des souffrances qui leur ont été infligées dans leurs familles nourricières pendant leurs années de placement d'office. Leurs cas ont été déclarés irrecevables. Derrière la formulation diffuse de la décision de rejet, la réalité semble être celle-ci: les tribunaux suédois estiment que celui qui, parvenu à l'âge adulte, n'est pas capable de donner toutes précisions concernant le jour, l'heure et l'endroit de chaque volée de coups de poing, de lanière ou de bâton reçue quand il était placé d'office en nourrice, celui-là ne peut espérer voir sa demande de compensation examinée par un tribunal suédois. On peut aussi discerner une ligne de raisonnement selon laquelle le tribunal ne peut comprendre qu'il puisse y avoir matière à dédommagement lorsqu'un enfant s'est vu refuser le droit de rencontrer ses parents ou celui d'aller à l'école.

A Strasbourg, la Cour européenne des droits de l'homme a refusé d'examiner le cas d'Aminoff et celui de Lovasz. Devons-nous en conclure que, devant le vaste système de persécution et de harcèlement mis en place par nos autorités (avec un profit financier considérable et qui s'accroît à chaque chaînon du système), la Cour européenne des droits de l'homme, à l'instar de notre Etat suédois, estime que ce système sert les intérêts des enfants, et qu'on peut donc regarder avec mépris et soupçonner de cupidité la victime qui demande un dédommagement?

Quand dira-t-on à la société européenne la vérité sur le placement autoritaire des enfants et sur le système des familles nourricières?